L’île de la Cité et ses églises disparues

L’histoire de l’île de la Cité est  étroitement liée avec ses deux édifices mondialement connus : la cathédrale de Notre-Dame et la Sainte-Chapelle. Autrefois ces deux célébrités y dominaient un vaste ensemble religieux  qui comprenait un prieuré, un couvent, une abbaye, ainsi que seize  églises et chapelles  « de toute date, de toute forme, de toute grandeur… » (Victor Hugo, « Notre-Dame de Paris »).

Quasimodo, le sonneur des cloches, avait certainement vu depuis les tours de la cathédrale toutes ces flèches élancées vers le ciel.  Nous, encore une fois, n’aurons pas cette chance, car ces églises étaient démolies  entre 1722 et la Révolution, et les dernières sous Haussmann.

Rappelons-nous au moins leurs noms : Saint-Jean-le-Rond, Saint-Denis-du-Pas, Saint-Aignan, Sainte-Marine, Saint-Landry, Saint-Christophe, Saint-Pierre-aux-Bœufs, Saint-Martial, Saint-Pierre-des-Arcis, Sainte-Croix-de-la-Cité, Saint-Barthélémy, Saint-Symphorien, Saint-Denis-de-la-Chartre, Saint-Germain-le-Vieux, Sainte-Geneviève-la-Petite, Sainte-Madeleine, ainsi que le prieuré Saint-Eloi, couvent des Barnabites et l’abbaye de Saint-Magloire.

Ci-après l’historique de quelques uns de ces édifices disparus :

Eglise  Saint-Jean-le-Rond

Façade de l'église Saint-Jean-le-Rond
Façade de l’église Saint-Jean-le-Rond

A l’origine Saint-Jean-le-Rond était un baptistère en forme d’une rotonde dédié à Jean-Baptiste. Il dépendait de la cathédrale et se situait du coté de la Seine, car les premiers chrétiens pratiquaient le baptême par immersion. Lorsqu’une cuve eut remplacé l’eau du fleuve, Saint-Jean-Baptiste devint Saint-Jean-le-Rond et fut transporté à gauche de Notre-Dame de Paris et accolé à sa nef.

C’est sur les marches de Saint-Jean-le-Rond, où l’usage s’était établi de déposer les enfants abandonnés qu’on apportait primitivement sous le porche de Notre-Dame.

Au petit matin du 16 novembre 1717, la femme du vitrier Rousseau, habitant rue Michel-le-Comte, trouva sur le seuil de Saint-Jean-le-Rond un enfant abandonné qu’elle recueillit. Elle l’emmena chez elle et elle l’éleva  tout comme si elle en avait été la mère. Baptisé « Jean-le-Rond », l’enfant fut mis en pension de 4 à 12 ans, puis jusqu’à 17 ans au collège Mazarin [Collège des Quatre-Nation fondé par Jules Mazarin], où il se fit remarquer par son goût pour la géométrie. Plus tard il fut reçu à l’Académie des Sciences, fut membre de l’Académie de Berlin, de l’Académie Française, consacra sa vie aux travaux scientifiques, écrivit la préface de l’Encyclopédie, fut lié à Diderot, à Voltaire et resta célèbre sous le nom d’Alembert.

Portrait de Jean Le Rond d'Alembert par Quintin de la Tour (1753)
Portrait de Jean Le Rond d’Alembert par Quintin de la Tour (1753)
La maison de la rue Michel-le-Comte dans le Marais
La maison de la rue Michel-le-Comte dans le Marais

Saint-Jean-le-Rond fut démolie en 1748.

Eglise Saint-Denis-du-Pas

Cette église se trouvait entre le chevet de la cathédrale actuelle et la fontaine du square de l’Archevêché. Son nom provient de sa situation sur le détroit, sur le pas [passage] qui séparait les deux îles parisiennes, la Cité et Saint-Louis.

L’église Saint-Denis-du-Pas était l’une des sept stations du cycle de l’Octave de Saint-Denis célébré chaque année depuis le VIII siècle du 10 au 16 octobre. Ce jour-là les Parisiens se rendaient prier dans les sept églises élevées sur des endroits rappelant le martyre de saint Denis : la procession commençait dans la chapelle Notre-Dame-des-Champs dans le faubourg Saint-Jacques à l’emplacement où saint Denis avait été arrêté et se terminait à l’abbaye de Saint-Denis édifié à l’endroit où il était inhumé.

Fort petite, l’église avait un clocher  renfermant quatre cloches, que le chapitre de Notre-Dame fit abattre, car le son des cloches troublait les officiants de la cathédrale. Elle avait un tout petit cimetière qui ne mesurait que 14, 80 sur 8,90 mètres. Il était entouré sur trois côtés d’une galerie de charniers au-dessus lesquels étaient des logements !

Fermée en 1791, l’église était démolie en 1813 ; le square de l’Archevêché recouvre son emplacement.

Chapelle Saint-Aignan

C’est derrière la porte de l’immeuble au N 19, rue des Ursins que se cachent dans l’intimité les vestiges de l’un des plus vieux édifices religieux de Paris.

Chapelle Saint-Aignan
Chapelle Saint-Aignan

La chapelle Saint-Aignan fut fondée vers 1118 par Etienne de Garlande, chancelier de France, doyen de Saint-Aignan d’Orléans et de la cathédrale de cette ville.

Saint-Bernard vint souvent prier ici, y « gémir sur la vie dissolue des étudiants qui préféraient ouïr le cliquetis des ceintures dorées et des boucles des ribaudes au corps gent plutôt que les psamoldies des moines » et demander à Dieu de lui rendre l’éloquence perdue  pour  ramener les jeunes clercs en bon chemin.

Héloïse et Abélard ont connu cette église, où ils sont venus prier et même pour se marier en secret. Leur maison se situait à l’emplacement de l’immeuble situé au No 9 quai aux Fleurs.

Sainte Marine présentée au monastère (en rouge). Jacobus de Voragine, "Légende dorée", enluminure, XIV siècle
Sainte Marine présentée au monastère (en rouge). Jacobus de Voragine, « Légende dorée », enluminure, XIV siècle

La chapelle Saint-Aignan fut vendue comme bien national le 28 septembre 1791. Après l’occupation profane, la moitié restante de la chapelle fut restaurée et rendue au culte pour le service des séminaristes du diocèse.

Eglise Sainte-Marine

Cette église se trouvait sous le vocable de la sainte Marine la Déguisée. La déguisée, parce qu’elle était déguisée en garçon quand son père l’avait fait entrer avec lui dans un couvent d’hommes à Bithynie. Ainsi la fillette s’appelait Marin. Elle vécut toute sa vie dans la discipline monastique. Un jour, accusée d’avoir séduit une jeune fille, elle préféra subir la pénitence que révéler son sexe pour se disculper. Son secret ne se révéla qu’après sa mort, quand on fit sa toilette mortuaire.

Sainte Marine présentée au monastère (en rouge). Jacobus de Voragine, "Légende dorée", enluminure, XIV siècle
Sainte Marine présentée au monastère (en rouge). Jacobus de Voragine, « Légende dorée », enluminure, XIV siècle

L’emplacement de cette église correspondrait au N 15, rue d’Arcole.

La Sainte-Marine était très petite (63 mètres carrés), sa paroisse ne comprenait qu’une douzaine de contribuables à la fin du XIII siècle et une vingtaine de maisons à la veille de la Révolution. Elle ne possédait pas de cimetière  et ses morts étaient inhumés aux Innocents.

Vestiges de l'église Sainte Marine par Adolphe Martial Potémont
Vestiges de l’église Sainte Marine par Adolphe Martial Potémont

Le curé de la Sainte-Marine confessait les prisonniers des prisons épiscopales et mariait les jeunes filles qui avaient « fauté ». Dans cette cérémonie du mariage, il passait au doigt de la mariée l’anneau de paille qui symbolisait la fragilité de sa vertu.

L’église Sainte-Marine fermée à la Révolution, était démolie en 1866, lors de l’élargissement de la rue d’Arcole.

Eglise Saint-Pierre-aux-Bœufs

A l’origine cette église n’était qu’une petite chapelle dédiée à saint Pierre. Elle devient une église paroissiale au milieu du XII siècle. On ne sait pas comment expliquer son nom : selon les uns c’était une paroisse des bouchers de la Cité, selon les autres on utilisait la clef rouge de sa porte pour marquer le bœuf, peut être il s’agît d’un miracle – des bœufs conduits à l’abattoir s’étant agenouillés devant son portail alors qu’en sortait en procession le Saint-Sacrement ? Quoi qu’il en soit, on voyait au fronton de son portail deux bas-reliefs représentant deux têtes de bœufs.

Au XIII siècle, la paroisse de Saint-Pierre-aux-Bœufs comptait un millier d’habitants répartis entre les rues des Marmousets, Saint-Pierre-aux-Bœufs et Cocatrix. Jusqu’à la fin du XVII siècle, elle possédait son propre cimetière. Fort petite elle avait un faible revenu.

Fermée en 1790, vendue et occupée par un marchand de tonneaux, elle fut démolie en 1837. Son portail, démonté pierre par pierre, acheté par la Ville de Paris et appliqué au petit portail de la façade occidentale de l’église Saint-Séverin, est toujours visible.

Eglise Saint-Géneviève-la-Petite (ou des- Ardents)

L’abbaye Sainte-Geneviève (rive gauche) possédait une petite censive sur l’île de la Cité, un îlot de quelques maisons  où une église Sainte-Geneviève-de-la-Cité ou Sainte-Geneviève-la-Petite était construite. Lors de l’attaque de Paris par les Normands en 857 (voir l’article ci-dessous)  l’abbaye y met à l’abri la dépouille de la patronne de Paris.

En 1130, lors de l’épidémie du mal des Ardents [ergotisme] qui a causé tant de morts à Paris, la châsse de sainte Geneviève fût portée en procession solennelle jusqu’à Notre-Dame où avait été rassemblé sur le parvis un nombre considérable de malades. Les malades défilèrent devant la sainte relique et retrouvèrent leur santé. Suite à ce miracle des Ardents,  Saint-Geneviève-la-Petite avait pris le nom de Saint-Geneviève-des-Ardents.

L’un des bienfaiteurs de cette église était le célèbre Nicolas Flamel, copiste-calligraphe et libraire de Paris. En 1402, l’église était agrandie et dotée d’un beau portail décoré d’une statue d’un homme à genoux qu’on disait être Nicolas Flamel.

Cette église fut abattue en 1748 pour la construction du nouvel hospice des Enfants-trouvés.

Envie de connaitre plus ? 

J. Hillairet, L’île de la Cité, les éditions de Minuit, 1969

2 janvier 2019, Ekaterina Tolstykh    
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