Les aveugles du roi : l’hospice des Quinze-Vingts

C’est à Saint Louis (1226-1270) que Paris doit le premier hospice destiné aux aveugles, les Quinze-Vingts. Durant cinq siècles cet hôpital était situé dans l’un de nos beaux quartiers d’aujourd’hui, celui du Palais-Royal.

Légende et réalité

Louis IX aurait fait bâtir cette maison pour porter secours aux chevaliers français auxquels les infidèles d’Egypte auraient crevé les yeux pendant la septième croisade (1248-1254). Pourtant, aucune source de l’époque ne l’atteste et selon l’historien des Quinze-Vingts, Léon Le Grand, il s’agirait d’une légende apparue au XVIe siècle. En réalité, le but était d’accueillir les pauvres aveugles de Paris, femmes et hommes, abandonnés de tous, et vivant on ne sait comment.

Ainsi en 1260, « le roi a réuni dans une maison trois cents aveugles, qui s’en vont par troupes dans les rues de Paris, et qui, pendant que le jour dure, ne cessent de braire [crier]. Ils se heurtent les uns contre les autres, et se font de fortes contusions ; car personne ne les conduit » (Rutebeuf, « Les Ordres de Paris », 1260).

Nom et emplacement

Le nom des Quinze-Vingts veut dire trois cents (15 × 20 = 300) dans le système de numération vicésimal utilisant la base vingt, qui correspond au nombre de doigts et d’orteils que possède l’être humain. L’hospice, en effet, comprenait trois cents lits.

Guillaume de Saint-Pathus, confesseur de la reine Marguerite, dans sa « Vie de Saint Louis » (1303) raconte que « roys fit acheter une piece de terre de les Saint-Ennouré [Saint-Honoré], où il fist fere une grant mansion…».
Le lieu où Saint-Louis avait installés les aveugles se nommait « Champs-Pourri », appelé ainsi car le terrain était marécageux, voisin de la Seine (il couvrait l’emplacement actuel des rues de Rohan, de Rivoli, de l’Echelle, et s’étendait sur la place André-Malraux).

Après cette acquisition (le terrain appartenait à l’évêque de Paris qu’on a du indemniser), le roi fit construire pour ses protégés des bâtiments hospitaliers et une chapelle. Il leur donna un aumônier, avec quinze livres de rente, et obtint des Papes Urbain IV et Clément IV l’autorisation de faire quêter en leur faveur dans toutes les églises de France.
Le pape Clément IV recommanda cette institution aux prélats dans une bulle datée de 1265, en les invitant à apporter leurs dons. En effet, en contrepartie de leurs privilèges (hébergement, nourriture et habillement), les pensionnaires des Quinze-Vingts devaient prier pour la famille royale, les bienfaiteurs et donateurs de l’hospice.

Le régime intérieur

Les Aveugles du roi y vivaient comme des moines. Ils s’administraient eux-mêmes, sous l’autorité d’un maître, par l’intermédiaire de leurs délégués.
L’enclos des Quinze-Vingts était franc, c’est-à-dire que les artisans pouvaient s’y établir et ouvrir des boutiques et ateliers ouverts, où on pouvait acheter des marchandises. L’enclos était un sort de cité, avec ses débits et ses cantines.

Les bâtiments, répartis sur un vaste espace, séparés par des cours et des passages étaient édifiés au cours des siècles. Les logements étaient divisés en « chambres d’un haut » et « chambres d’un bas ». Le maître et le chapelain avaient chacun un corps de logis spécial, accompagné d’un jardin.
Il existait, en outre, une « salle du chapitre » pour les réunions de la communauté, pendant lesquels il y avait ses orages et des protecteurs devaient même y intervenir pour imposer le dernier mot de la discussion.

L’hospice des Quinze-Vingts a conduit directement à la fondation d’autres maisons d’aveugles, cette fois à l’initiative de bourgeois de la ville, comme l’hospice des Six-Vingts de Chartres ou celle de l’hôpital Jean-Rose de Meaux.

En 1779, le fameux cardinal de Rohan, grand aumônier des Quinze-Vingts, en faisant une belle spéculation, vendit ce beau terrain six millions francs, pour acheter un nouveau la rue de Charenton, dans le faubourg Saint-Antoine, qui lui coûta douze fois moins ! L’hôpital est aménagé dans l’ancienne caserne des Mousquetaires-Noirs et le nombre d’aveugles est porté à huit cents.

A la fin du XIX siècle le docteur Fieuzal avec l’aide de Gambetta y crée une clinique ophtalmologique gratuite pour ceux des malvoyants dont la vue n’était pas définitivement perdue.

Les bâtiments de cette clinique, devenus inadaptés aux missions nouvelles de l’hôpital, furent détruits entre 1957 et 1968 (sauf le porche d’entrée et la chapelle datés du XVIII siècle et inscrits au titre des Monuments historiques en 1976). Les locaux actuels ont été construits au fur et à mesure de la démolition des anciens bâtiments.

Sources :
F. Bournon, Petite histoire de Paris, Armin Colin, 1888
M.F. Hoffbauer, Paris à travers les âges, 1993
Wikipédia
Site officiel des Quinze-Vingts

En savoir plus
Léon Le Grand, Les Quinze-Vingts depuis leur fondation jusqu’à leur translation au faubourg Saint-Antoine (XIIIe-XVIIIe siècle), Paris, 1887
Musée Valentin-Haüy Musée de Paris consacré à l’histoire des aveugles.

3 août 2018, Ekaterina Tolstykh    
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