Paris 1470 : naissance du livre imprimé

L’imprimerie ou « l’art d’écrire artificiellement », c’est-à-dire à l’aide de caractères mobiles, est la trouvaille, ou plutôt le perfectionnement de Gutenberg, qu’il applique en 1457 dans le célèbre Psautier de Mayence. Cette invention reste secrète, mais lors de la prise de Mayence par les troupes d’Adolphe de Nassau en 1462, les imprimeurs se dispersent partout en Europe.

Jean de la Pierre et Guillaume Fichet

Il y avait à Paris en ce temps parmi les maîtres de la Sorbonne, Jean de la Pierre, grand ami des livres et des imprimeurs de Mayence. Jean de la Pierre tirait son nom francisé du village où il naquit : Stein (dans le grand-duché de Bade). Il avait étudié à l’Université de Leipzig. A lui revient l’idée de la première imprimerie parisienne. Il désire faire profiter les professeurs et les étudiants de ses avantages : multiplier les livres d’études, les mettre à la portée de tous, avoir des textes corrects, au lieu de copies défectueuses faites par des scribes ignorants. Jean de la Pierre parle de son idée à l’un de ses collègues des plus éminents, Guillaume Fichet, le bibliothécaire de Sorbonne et le professeur de belles-lettres et de rhétoriques. Ce dernier soutient le projet.

Trois compagnons d’Allemagne

Michel Freiburger de Colmar, maître ès arts, et deux simples ouvriers, Ulrich Gering de Constance, et Martin Crantz, qui n’est pas autrement connu, répondent à l’appel de deux sorbonistes.
C’est ainsi, en 1470, le collège de Sorbonne reçut les premières presses à imprimer. Les trois compagnons se mettent aussitôt à forger le bel alphabet d’un caractère romain (seule écriture digne des humanistes !), fabriquer des caisses et la première presse.
Voici avec quel enthousiasme ils saluent leur premier enfant, le recueil des « Lettres » de Gasparino Barzizi de Bergame, dont l’élégante latinité était proposée à l’imitation des jeunes gens :

Ainsi que le soleil illumine la terre, tu fais de la science,
O nourrice des Muses, royal Paris.
Cet art presque divin qu’enfanta l’Allemagne,
Cet art d’écrire, reçois-le en récompense.
Voici les premiers livres produits par cette industrie.
Michel, Ulrich et Martin les maîtres
Les imprimèrent, et ils t’en feront d’autres.

D’autres ? Oh oui, et ca ne va tarder ! L’ouvrage suivant sorti de la presse est consacré à l’orthographe (« Gasparini Bermagensis orthographiae liber foeliciter incipit ») et Fichet l’adresse, comme étrenne, à l’historien Rober Gaguin. Dès là, l’art nouveau répand partout la lumière.

Ca sera le tour des œuvres de Salluste, historien et homme politique romain, auteur très lu au moyen âge, l’«Abrégé de l’histoire romaine » de Florus, « Rhétorique » de Cicéron, « Valère Maxime », les « Lettres de Platon » parues en 1472. Aux philosophes succèdent des poètes : Virgile, Juvénal, les « Satires » de Perse.

L’art nouveau prit chaque jour un plus grand essor. L’invention de Gutenberg reproduisait en une seule journée ce que le meilleur copiste mettait un an à transcrire, avec tous les risques d’erreur inhérents à ce genre de travail !

A partir de 1473, les livres imprimés ne portent plus la mention de la maison de la Sorbonne (La Pierre étant mort, Ficher part à Rome).

D’autres prennent le relais

A la fin du XV siècle, on trouve les noms de beaucoup d’imprimeurs parisiens. La plupart se fixe dans le voisinage de la Sorbonne, dans le quartier de l’Université. Tel est l’exemple de la maison à l’enseigne du Soleil d’Or. Elle s’élevait rue Saint-Jacques, au-dessus de l’église Saint-Benoît. Ses imprimeurs adoptent les caractères gothiques et impriment des ouvrages de théologie : la « Lèpre Morale » de Jean Nider, la « Somme » de frère Barthélemy de Pise etc. Elle entre en concurrence ouverte avec l’atelier du Soufflet Vert dans la publication des beaux classiques.

Pasquier Bonhomme représente dans la rue Notre-Dame, le livre français. C’est à lui qu’on doit le premier livre imprimé dans notre langue à Paris : Les « Chroniques de France » (1475-1477), le « Traité de la noblesse », l’« Histoire de la destruction de Troyes la grant » (1484). De belles images décorent ces livres admirables. D’autres illustrent le « Livre des ruraux proufit du labour des champs », où nous voyons les gens, les bêtes, les plantes.

Dans la maison des Deux Cygnes, rue Saint-Jacques, derrière Saint-Séverin, Jean du Pré produisit la série de ses chefs-d’œuvre en généralisant l’emploi de la gravure. On lui doit toute une série de Missels : ceux de Paris, de Verdun, de Limoges, de Nevers, de Reims, de Troyes. Il est également spécialisé dans la vente des placards des indulgences. Il publie les fameuses « Heures de Rome » (1488), la « Légende dorée » illustrée, le « Roman de la Table ronde », l’«Arbre des Batailles » d’Honoré Bonet, les « Vigiles de Charles VII », un « Roman de la Rose ».

L’atelier de Guy Marchand (1483-1500) est installé derrière le collège de Navarre. Esprit si curieux, Guy s’adresse au peuple qu’il veut instruire et moraliser. On lui doit cette merveilleuse Danse Macabre du cimetière des Innocents (1485). Quel dessin sombre et mouvementé ! Le succès est tel que Guy Marchand doit lui donner une suite, la Danse Macabre des Femmes.

La liste est longue de ces maisons d’imprimerie qui voient le jour à la fin du XV siècle dans ce quartier de l’Université : atelier de Pierre Levet, de Pierre le Rouge (rue Neuve Notre-Dame), autant illustrateur que typographe, Philippe Pigouchet, rue de la Harpe, la maison à l’enseigne de la Rose, Denis Meslier, encore rue de la Harpe, Michel le Noir etc.

Répondant à l’intense demande de l’époque, spécialement des universités, ces imprimeurs publient tout d’abord des ouvrages de théologie (plus de 50 % de tous les livres publiés avant 1500) ; puis de littérature latine (de 25 à 30 %), de droit (10 %) et de sciences (de 8 à 14 %). Durant le dernier quart du XV siècle Paris fit paraître 2 254 livres imprimés !

Disons adieu aux imprimeurs parisiens avec ces paroles d’Antoine Bocard, établi comme tant d’autres rue Saint-Jacques :

Honneur au roy et à la cour,
Salut à l’Université…
Dieu gart de Paris la cité !

Le saviez-vous ?

• On appelle un incunable tout livre imprimé en Europe avant le 1er janvier 1501. Le mot « incunable » provient du mot latin incunabula, qui signifie « berceau, enfance, origine »

• L’Imprimerie nationale est l’imprimerie de l’État français héritée d’une imprimerie créée en 1538 sous François Ier et qui deviendra ensuite l’Imprimerie royale instituée par le cardinal de Richelieu en 1640 à la demande de Louis XIII.
C’est aujourd’hui une entreprise commerciale, dont l’État est l’unique actionnaire.

Sources :
F. Bournon, Petite histoire de Paris, Armand Colin, 1888
L. Moulin, La vie des étudiants au Moyen Age, Albin Michel, 1991
P. Champion, Splendeurs et misères de Paris, Calmann-Lévy, 1934
Catalogue de l’exposition «Huguenots. De la Moselle à Berlin, les chemins de l’exil », 2006
Wikipédia
26 juillet 2018, Ekaterina Tolstykh    
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