La librairie de Charles V au Louvre

Charles V, roi de France de 1364 à 1380, avait un trait particulier : il était avide de connaissances. Souvent représenté avec des livres, le roi est facilement reconnu sur les enluminures. Les chroniqueurs de son temps l’ont nommé le Sage ou le Savant parce qu’il portait le grand amour pour l’étude et la science. Il le démontra par « la belle assemblée de notables livres et belle librairie… » .

Jean de Vaudetar offre sa bible au roi Charles V, enluminure de Hennequin de Bruges, vers 1372
Jean de Vaudetar offre sa bible au roi Charles V, enluminure de Hennequin de Bruges, vers 1372

Louvre, résidence de luxe

Dès qu’il prend les rênes du pouvoir, le roi réaménage le Louvre. Cette bâtisse fortifiée construite sous Philippe Auguste, se transforme en vaste et luxueuse résidence. Raymond du Temple, maçon du roi, augmente la surface habitable, ajoute aux tours et aux ailes du château des étages. Un grand jardin fut crée aux pieds de la forteresse.

Le Louvre sous Charles V, enluminure ("Les très riches heures du duc de Berry")
Le Louvre sous Charles V, enluminure (« Les très riches heures du duc de Berry »)

Le roi prend la décision d’installer dans la tour située à nord-ouest du Louvre une bibliothèque royale. Cette tour à trois étages sera appelée la Tour de la Librairie [aujourd’hui à sa place se dresse le pavillon de Sully dans la Cour Carrée du Louvre].

Après des travaux d’un an, les murs et les voûtes de cette tour sont lambrissés de bois d’Irlande et de bois de cyprès réputés pour éloigner les insectes et protéger du froid. On aménage également un nouvel escalier à vis et de nouvelles portes. Les fenêtres sont équipées de treillis en fil métallique contre « oyseaux et autres bestes ». Dans les niches on met des chandeliers et des lampes d’argent pour éclairent l’espace. Le mobilier, bancs et lutrins, provient de l’ancienne librairie du Palais de la Cité, ainsi que la première collection des manuscrits enrichie par Charles V.

Les fonds

L’inventaire de 1373 révèle le catalogue de 917 livres mis en disposition des savants et lettrés, car la librairie du roi est avant tout une bibliothèque de travail. On y trouve des ouvrages de théologie, de droit, d’histoire, d’astrologie, de politique, de voyage, de science, de poésie (Lucain, Ovide), ainsi que la littérature profane (« Roman de Renart » et « Roman de la Rose »). Les manuscrits sont enfermés dans de solides reliures, équipées de beaux fermoirs d’or ou d’argent.

Premier bibliothécaire

Charles V veille à la gestion de ses ouvrages et crée un office de « garde de la Librairie ». Cette charge est confiée à Gilles Malet. Christine de Pisan, femme de lettres du XV siècle, approuve ce choix. Malet, dit-elle, est un intellectuel, qui « souverainement bien lisait…, et était homme de bon entendement ». Malet mène avec conscience sa tâche. Les inventaires dressés jusqu’à sa mort en 1411, montrent que la collection est bien gardée, mais aussi régulièrement enrichie.

Les sommes allouées par le roi à la gestion de la Librairie servent surtout à la restauration des manuscrits, à l’acquisition de parchemins et à la rétribution des traducteurs. Charles V est un grand promoteur de la langue française. Il encourage l’usage du français dans la rédaction des actes administratifs, et fait traduire des ouvrages antiques grecs et latins, pour pouvoir les lire, notamment des textes de philosophie politique d’Aristote : « Ethiques », « Politiques » et « Economiques ». L’un de ses traducteurs, Nicolas Oresme, est l’un des plus proches conseillers du roi.

Le roi dans sa bibliothèque

Charles V lui-même se réfugie volontairement dans sa chère librairie. De santé fragile, c’est un homme réfléchi qui aime préparer ses plans dans la compagnie de ses manuscrits. Quand le roi veut consulter un ouvrage, son secrétaire le place sur un lutrin qui tourne sur des pivots (image en bas). Il peut avoir alors à sa disposition tous les genres en même temps.

Charles V dans sa librairie, enluminure (Policraticus de Jean de Salusbury, 1372)
Charles V dans sa librairie, enluminure (Policraticus de Jean de Salusbury, 1372)

Ses intérêts se portent surtout sur des ouvrages politiques et historiques, car Charles V veut y trouver des enseignements utiles à son gouvernement. Le roi s’engage à rendre à la France son prestige militaire perdu lors des désastres de Crécy (1346) et de Potiers (1356).

L’astrologie est une autre science qui lui aide à prendre des décisions importantes : 230 volumes de sa bibliothèque sont les ouvrages d’astrologie, de la magie, de la divination. Aucune autre bibliothèque de l’époque n’atteint un nombre pareil pour ce genre d’ouvrages, car les condamnations pontificales les ont rendues très suspects.

Fin de la bibliothèque

A la mort de Charles V en 1380, Gilles Malet œuvre pour empêcher la dispersion de la collection. Il résiste notamment aux ducs d’Anjou et de Berry, frères du défunt, qui aimeraient récupérer des ouvrages pour ses propres bibliothèques. L’inventaire de 1411 révèle une déperdition de 188 volumes, alors que 195 nouveaux écrits ont été incorporés. Mais le vœu de Charles V n’aura cependant tenu que pendant la durée du règne de son fils, Charles VI (1380-1422), car l’occupation anglaise signe la fin de la Librairie royale.

En 1424, le duc de Bedford, régent de France et d’Angleterre, rachète la totalité des ouvrages (843 volumes) pour la somme dérisoire de 1200 livres (prix de 7 chevaux). Il les transporte en Angleterre. La mort du duc, en 1435, marque la dispersion de l’ancienne collection de Charles V : tous les ouvrages sont vendus ou donnés séparément.

Duc de Bedford, enluminure du XV siècle
Duc de Bedford, enluminure du XV siècle

Quelques manuscrits ont été rachetés par des princes français, prisonniers en Angleterre à la fin de la guerre de Cent Ans, et soucieux de rapatrier des précieux vestiges de la glorieuse librairie de Charles V.

Reconstituée en 1475 par Louis XI, la bibliothèque réunira 2 000 volumes sous François I, et 17 000 sous Louis XIV. Après bien de péripéties, la bibliothèque royale de Charles V deviendra quelques siècles plus tard la Bibliothèque Nationale de France.

Sources :

Françoise Autrand, Charles V, Fayard, 2008
Paris et Charles V (Action artistique de la Ville de Paris sous la dir. F. Pleybert)
Michel Carmona, Le Louvre et les Tuileries, huit siècles d’histoire, 2004
Le Louvre, huit siècles d’histoire, éditions Historia, 2013

 

 

31 juillet 2019, Ekaterina Tolstykh    
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