La Place des Vosges et ses écrivains

La place nommée Royale (aujourd’hui la Place des Vosges) est crée à l’orée du XVII siècle à l’ordre d’Henri IV, roi de France (1589-1610). Avec ses vives façades en brique rouge et 72 toises en carré elle devient vite un lieu de promenade, fêtes et rendez-vous galants. Les 36 pavillons sont occupés par des familles aristocratiques et bourgeoises. Pourtant, l’histoire de la Place des Vosges n’est pas liée uniquement à leurs noms, mais aussi à ceux des écrivains célèbres.

Madame de Sévigné

Philippe de Coulanges, richissime bourgeois anobli depuis peu, achète un pavillon au N 1 bis. C’est ici que Marie de Rabutin-Chantal, sa petite fille, est née le 5 février 1626. Elle sera plus tard la Marquise de Sévigné, célèbre épistolière du Grand Siècle. En fréquentant régulièrement la Cour de Louis XIV, elle écrit ses « Lettres » au sortir de Versailles. C’est une sorte de gazette dans laquelle elle parle de son époque, de la cour royale, de la société. On y apprend de la mode, de l’apparition de la douche et du chocolat, des livres et des spectacles à la mode, de l’«Affaire des Poisons», de tout ce qui se passe à Paris et en royaume.

Née place Royale, Madame de Sévigné restera toute sa vie fidèle au Marais :        « Peut-on changer un tel quartier ? » se demande-t-elle dans une de ses lettres. Elle changera plusieurs fois sa demeure (la plus connue est sa chère                           « Carnavalette », actuel musée Carnavalet), mais nulle part elle n’est chez elle autant qu’aux alentours de « La Place ».

Madame de Sévigné

La Révolution apportera des changements : désormais la place Royale s’appelle la Place des Vosges (au nom de ce département qui a versé le premier des impôts dans les caisses de l’Empire de Napoléon). Des pavillons furent saisis comme biens nationaux et seulement 41 % des hôtels appartenait à la noblesse.

Au cours du XIX siècle en fonction des régimes politiques la place changera chaque fois son nom, mais redeviendra définitivement la place des Vosges dès 1870. Durant toute cette période une grande partie des hôtels fut divisée en appartements et louée. Sous le Second Empire (1852-1870), seuls deux hôtels étaient habités par les nobles. Cette désaffection entraîna la baisse des loyers et suscita l’installation de nombreuses célébrités, dont plusieurs écrivains.

Victor Hugo

L’écrivain occupe l’appartement au deuxième étage de l’Hôtel de Rohan-Guémené (N 6), de 1832 à 1848. Il signe un bail du logement de 280 m2 avec une antichambre, salle à manger, salon, cuisine et plusieurs pièces en aile desservies par un corridor. L’illustre écrivain disposait d’un cabinet de travail et d’une chambre ornés de livres et d’une table haute, car Hugo écrivait débout. Il y rédigea en 1833 les pièces « Lucrèce Borgia », « Marie Tudor », « Angelo », « Tyran de Padou » (1835), des poésies « Les Chants du crépuscule » (1835), « Les Rayons et les Ombres » (1840). De 1845 à 1847, Hugo travailla un roman intitulé Jean Tréjean (paru sous le titre « Les Misérables » en 1862) : «Je ne dîne plus qu’à neuf heures, afin d’allonger ma journée de travail. Je ferai ainsi pendant deux mois pour avancer Jean Tréjean… ».

Victor Hugo
Victor Hugo

Dumas éprouvait une profonde admiration à la demeure de Victor Hugo, transformé en 1902 en musée, la Maison de Victor Hugo. Dans son roman « Les Trois Mousquetaires », paru en 1844, Alexandre Dumas situe la demeure de Milady au 6, place Royale. La perfide héroïne occupe un « hôtel d’une somptuosité remarquable dans un quartier qui était alors à la mode ».

Dans son appartement, Hugo reçut l’élite intellectuelle et artistique de son temps : Musset, Balzac, Nerval, Lamartine, Rossini, Liszt, Berlioz, Gautier. Ce dernier était son voisin.

Théophile Gautier

Il  habita avec sa famille de 1828 à 1834 l’appartement du deuxième étage du pavillon N 8. Il s’en souvient : « Victor Hugo quelques temps après la révolution de Juillet, était venu loger à la place Royale au N 6, dans une maison en retour d’équerre. On pouvait se parler d’une fenêtre à l’autre ». L’auteur du « Roman de la momie » (1858) et du « Capitaine Fracasse » (1863), jeune Gautier hésitait à cette époque entre peinture et littérature. Il fit paraître son premier recueil de poésie en 1830, son second en 1832, mais il n’obtint pas encore le succès.

Théophile Gautier
Théophile Gautier

Alphonse Daudet

Alphonse Daudet occupe de 1876 à 1879 une douzaine de pièces entre cour et jardin au rez-de-chaussée et à l’entresol de l’hôtel de Richelieu (N 21). Il y composa « Les Rois en exil » : «J’ai écrit les Rois place des Vosges au fond d’une grande cour où des touffes d’herbe découpaient en carrés les pavés inégaux dans un petit pavillon envahi d’un reflet de vignes vierges, pan oublié de l’hôtel Richelieu. Dedans vieilles boiseries Louis XIII, dorures presque éteintes, cinq mètres de plafond, dehors balcon en fer forgé mangé de rouille à sa base. C’était bien là le cadre qu’il fallait à cette histoire mélancolique. Dans ce grand cabinet de travail je retrouvais, chaque matin, les personnages de mon imagination, vivants, comme des êtres, en groupe autour de ma table »

Alphonse Daudet
Alphonse Daudet

Georges Simenon

Georges Simenon loue en 1923 une pièce au rez-de-chaussée, puis un appartement plus vaste au deuxième étage de l’hôtel de Richelieu. Il inventa en 1929 le commissaire Jules Maigret, qui apparaît dans 84 romans et 18 nouvelles. Son héros est un homme imposant, large d’épaules, à l’allure bourrue et parfois inquiétante, qui aime prendre son temps pour résoudre une enquête. Amateur de blanquette de veau et du vin, fumeur de pipe invétéré, il devient l’un des plus célèbres personnages de la littérature policière.

Georges Simenon
Georges Simenon

 

Source :
Chadych D., Le Marais : évolution d’un paysage urbain, 2014
Wilhelm J., La vie quotidienne au Marais au XVII siècle, 1966
23 juillet 2019, Ekaterina Tolstykh    
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